002 - Barndom.
« - Vite, dépêchez vous, docteur ! Il a perdu énormément de sang, il ne va pas s’en sortir…
- Ne dîtes pas de sottises, il va très bien s’en sortir !
- Comment pouvez vous dire une telle chose, vous voyez bien l’état de sa blessure ? Dieu sait ce qu’il a dû souffrir !
- Taisez vous et vérifiez son pouls.
- Il bat trop vite, il devrait déjà être mort avec une telle allure ! »
« C’est ce soir là que je suis mort la première fois, je crois. La blessure que m’avait infligée ce loup-garou, adulte et affamé, aurait dû me tuer sur le coup. Si mes pouvoirs de magiciens ne s’étaient pas montrés à ce moment là, je serais mort à tout jamais. Si je n’avais pas fait apparaître un feu d’artifice rouge et jaune au moment de l’attaque, je ne serais pas là à vous raconter l’histoire. J’étais sorti contre les ordres de mes parents. J’ai 4 ans.
La porte bascule. La porte claque.
Un craquement de branches. Un souffle chaud. Un grognement. Et je suis à terre. Je ne sais plus ce qu’il se passe. J’ai mal à l’épaule. C’est chaud. Ca coule. Puis toute cette lumière. Et j’entends des cris. Je vois du sang tout autour de moi. C’est mon sang, il est rouge comme celui de ce chien qui traînait égorgé sur le trottoir. Ils se mélangent. Je ne suis plus vraiment conscient. Je demande.
Est ce que c’était son heure ?
Non, Ragnar.
Est-ce que c’est la mienne ?
Non, Ragnar.
Puis je ne me rappelle plus de rien.
Je sais aujourd’hui que j’ai faillis mourir, mais que les médecins m’ont sauvés de justesse, et parce que c’était une lune bleue. C’était la deuxième pleine lune du mois. Rarissime. J’ai été chanceux de ne pas mourir sur le coup. Valait-il mieux que je grandisse ainsi ? Avec en moi cette créature immondissime ? Au début, j’avais peur de ce qu’il se passait les nuits de pleines lunes. Je ne comprenais pas. J’avais peur, surtout. Je pense que c’était ça, surtout. J’ai compris que je devais faire avec. L’on m’a donné un collier en argent pour essayer de réduire les effets dans les journées. J’étais un gamin. J’ai fini par apprendre à connaître la bête. La connaître et la craindre. La connaître et la respecter. Et si je la connaissais, elle me connaissait aussi. J’ai 7 ans.
003 - Fader vor, du som er i himlen.
Maman pleure. Je ne sais pas pourquoi. Elle tient ma main depuis une heure, mais je suis dans la cave comme toujours. Je n’ai pas peur. Je la regarde droit dans les yeux. C’est simple.
On se revoit demain matin, maman.
Oui, mon amour.
S’il te plaît, arrête de pleurer maman. C’est juste un gros chien.
Oui, mon amour.
Promets moi de me faire du lait au miel demain matin.
Oui, mon amour.
Puis elle est partie. Elle m’a regardé une dernière fois, les yeux tous rouges, et le maquillage qui avait coulé.
Puis je ne me rappelle plus de rien.
Ma mère n’a jamais fait ce lait au miel. Elle s’est pendue dans la nuit. Elle n’arrivait plus à supporter les hurlements à la mort. Je suis resté toute la journée à la cave, le temps que les médecins l’emmènent et fassent le ménage. Mon père était descendu me dire que Maman était partie au ciel. Mais je n’étais pas bête, je savais qu’elle avait baissé les bras. Je ne lui en veux pas. Qui aurait voulu voir son fils martyrisé par une bête horrible comme celle là ? Dès que je touchais les barreaux qui séparaient la cave en deux parties, j’avais des flashs de ce que je faisais sans le faire. Les marques des dents contre l’acier et l’argent. Les coups de griffes dans le mur. J’étais un gamin. Mais je comprenais pourquoi ma mère avait abandonné la lutte. Mon père a fini par abandonner aussi. Il ne pouvait plus faire la différence entre nuit et jour. Il buvait comme un trou. Il buvait tout ce qui lui tombait sous la main. Alcool, même ma potion tue-loup. Mais je ne lui en voulais pas. Il était à l’affût du moindre moment pour s’échapper et rejoindre ma mère, ‘là haut’. Il m’abandonnait. Ce n’était pas de ma faute. J’ai 8 ans et demi.
004 - Alene på jorden, jeg kunne dø til det der.
Papa est en train de m’attacher. Je deviens de plus en plus violents, les hommes aux capes ont dit de m’attacher. Il pleure et il rote en même temps. Il a la bouteille d’alcool dans la main. Les cadenas qui tiennent mes bras sont défaits. Il titube quelques instants. Mais il ne se rend pas compte qu’il n’a pas bien fait son travail. Je le fixe d’un air simpliste. Il veut partir. Il le dit tous les jours sous la douche. Il le chante. Puis il plonge dans sa bouteille. Si je tire un peu sur mes chaînes, je sais que je me détache. Mais je reste les bras en l’air.
Ah, Ragnar, ta mère elle l’aurait fait mieux que moi.
Oui, je sais papa.
Ah, si tu savais combien elle me manque…
Oui, je sais papa.
Je voudrais tellement la rejoindre.
Oui, je sais papa.
Puis il est tombé à genoux, mais il a réussi à claquer la grille dans sa chute. Je l’ai regardé baver sur les dalles, en train de rêver, avec tout l’alcool dans son corps.
Puis je ne me rappelle plus de rien.
Mon père n’a pas tenu la nuit. Je l’ai achevé, même si ce n’était pas moi qui le faisait en sang froid. J’ai attrapé la clé qui avait sauté de son pantalon et je suis sorti de la cave le lendemain. Je suis allé me doucher, lucide comme jamais. Je me suis changé, et je suis allé jusqu’à la maison des voisins. Un des mages en capes. Et je lui ai dit que mon père était dans la cave. Ils m’ont envoyé dans une cage pendant quelques jours pour analyser. Ils ont trouvé une lettre de mon père où il disait qu’il s’enfermerait avec moi et qu’il ne laisserait pas les cadenas. Il disait qu’ils ne devaient pas me tenir responsable, je n’étais pas maître de moi et c’était un choix qu’il avait fait la conscience tranquille. Mes grands-parents étant tous les quatre décédés, mes parents n’ayant ni de frères ni de sœurs, je n’avais plus de famille. Les mages m’ont placé en orphelinat magique. J’ai 10 ans.
005 - Der hvor du skal studere.
Ils me regardent bizarrement. Je suis comme eux. Sauf que j’ai un traitement de faveur. Ils me regardent comme si j’étais un animal. Ils ont raison. Mais je l’accepte. J’ai reçu ma lettre d’admission à l’école de Sorcellerie de Scandinavie. Les grands ont parlé de mon cas. J’irai. Je serais surveillé. Mais j’irai. Et je ferais comme n’importe qui. C’est Helje qui le dit.
Ragnar, tu seras un sorcier doué.
Oui, Helje, je sais.
Tu sauras faire des tas de choses que je ne sais pas faire moi.
Oui, comme t’empêcher de faire brûler la soupe.
Tu n’auras pas besoin de te soucier de tes problèmes, tu seras fort.
Oui, Helje. Je serais tellement fort, que je te trouverai du travail correct.
Je la regarde avec un sourire. C’était mignon. Elle était comme une sœur aînée. Mais elle est partie parce qu’ils la trouvaient trop proche de moi. Elle compromettait mon développement. Je ne devais m’attacher à personne. Ils me l’ont expliqué rapidement. Juste avant que je ne parte à l’école de magie. Juste avant ma première pleine lune en domaine inconnu.
Puis je ne me rappelle plus de rien.
Je me rappelle simplement de la cérémonie d’admission. J’étais petit par rapport aux autres élèves. Mais déjà, ils se tournaient sur mon passage et murmuraient des rumeurs qui m’apprenaient des choses sur moi même que j’ignorais. J’étais fils d’animal. Fils de chien. Bâtard. Je ne parlais pas une langue humaine. J’avais eu des relations avec des louves. C’était un jeu passionnant, auquel je jouais sans scrupules, n’hésitant pas à jouer. Je me riais de savoir si je faisais peur ou non. Jusqu’à ce que ça soit le coup de trop. Jusqu’à ce que j’abandonne à mon tour, parce que la seule fille que j’aie un jour aimé, me fut arrachée parce qu’un de mes camarades de classe me trouvait trop dangereux. J’ai 13 ans.
006 - Når død nærmer sig, sker mystiske ting.
J’ai la lame de rasoir dans la main. Sur le bord de la baignoire, deux de rechange. Si jamais je faiblis trop et que je fais tomber la première. J’en ai deux de réserve. Je ne m’imagine pas que je puisse haïr la vie à un tel point. Je plante la lame dans mon poignet.
La douleur devient de l’adrénaline. Le sang coule sur ma peau et je sens mon cœur ralentir.
La première lame tombe de mes doigts que j’ai entaillés. Tremblant, je saisis l’autre.
J’ai réussi à faire deux entailles avec la première. Je parviens à faire la troisième.
Puis je change de main. Et je reprends le même rituel de l’autre côté.
Une voix de l’autre côté. Qui m’appelle et qui martèle la porte ; je l’ai fermée d’un sortilège de magie.
La deuxième lame de rasoir m’échappe. Je prends la troisième, et je peine à l’enfoncer jusque dans les veines.
Par deux fois, je recommence. Le sang coule.
Si fort, si vite. L’eau chaud accélère le saignement. Je sens la vie me quitter petit à petit.
Je vais mourir.
Puis je ne me rappelle plus de rien.
Aujourd’hui, en regardant en arrière, je me rends compte que mon comportement était impétueux. Je n’avais pas le droit de faire cela. Ils m’ont sorti de l’école pour ne pas être lynché dès mon retour de l’infirmerie. Les six cicatrices qui parcouraient à présent mes deux poignets n’allaient jamais disparaître. Ils m’avaient proposé de les faire disparaître par magie. Je ne voulais pas. Je voulais m’en rappeler pour me dire que j’étais plus fort qu’eux. Qu’eux tous réunis. N’était-ce pas moi qui les faisait pleurer dans leurs lits les nuits de pleine lune ? Indolent, je les vis venir me voir à l’infirmerie, l’un après l’autre. S’excusant de leur comportement. Mais je m’en fichais. J’étais intouchable. Au moins, la bête me comprenait. Elle savait ce que j’endurais. Cette compagnie ne me quitta pas pendant de longues années. J’ai 21 ans.